Le chaucidou est-il si doux ?

par Robert FOURET

On les voit fleurir à Saint-Malo et pourtant ce n’est ni une fleur ni un rond-point.

Késako le chaucidou ?

Le chaucidou est l’acronyme de CHAUssée pour CIrculation DOUce. Vous l’aurez compris c’est une chaussée qui apporte de la douceur. Nous voilà désormais bien avancés.

Attention cyclistes, un acronyme peut en cacher un autre ! Les autorités publiques se sont alors dit qu’il fallait clarifier la novlangue administrative et l’appellent désormais la CVCB, acronyme de Chaussée à Voie Centrale Banalisée. C’est désormais nettement plus clair.

Il s’agit tout simplement de la façon dont la chaussée est aménagée pour les voies en double sens :

  • La séparation (les lignes) centrale est supprimée (d’où le nom Voie Centrale)
  • 2 bandes multi-usages sont créées (1 de chaque côté de la voie).

Ci-dessous, une photo (crédit : CEREMA) qui illustre parfaitement l’absence de séparation centrale et les 2 bandes latérales.

cvcb (crédit : CEREMA)
Un Chaucidou à Saint-Omer en Picardie

Le chaucidou s’accompagne de nouvelles règles tacites de circulation :

  • Les voitures circulent sur la voie centrale, les cyclistes sur les bandes latérales
  • Lorsque 2 voitures se croisent, elles doivent se rabattre dans les bandes latérales derrière les cyclistes

Une explication en image fournie par la sécurité routière du Doubs :

circulation cvcb
Règle de circulation sur les chaucidou

Pourquoi le chaucidou ?

Le chaucidou a vocation à apaiser la circulation motorisée (d’où le ‘CIrculation DOUce’ dans CHAUCIDOU) afin que les cyclistes puissent se déplacer en plus grande sécurité.

Profitons-en pour rappeler que le manque d’aménagement sécurisé est le 1er frein au développement des vélos (on l’évoquait déjà dans un article précédent). Le journal télégramme consacrait d’ailleurs à ce sujet un article entier dans son édition du 09 mars 2024.

Le chaucidou est donc la réponse des autorités publiques pour lever les freins et accompagner l’essor du vélo. Ce choix s’explique très facilement : l’aménagement est gratuit avec une mise en œuvre immédiate.

  • Un coup de gomme sur la séparation centrale; et
  • Un coup de peinture de chaque côté de la voie

La solution parfaite ?

Tout le monde est donc content car :

  • L’argent public est bien dépensé (solution frugale)
  • Les autorités publiques répondent à une demande croissante (augmentation constante du nombre de cyclistes et du nombre de trajets à vélo)
  • Sécurisation des cyclistes grâce au ralentissement de la circulation automobile
  • Elles luttent pour la décarbonation du transport, le seul secteur en France dont les émissions de CO2 ont augmenté depuis 1990 et donc contre le réchauffement climatique
  • Elles n’empiètent pas sur la circulation automobile
  • On n’augmente pas l’artificialisation des terres avec de nouvelles infrastructures

Vous l’aurez compris le chaucidou coche absolument toutes les cases d’où son essor encore plus rapide que l’apparition des ronds-points en France.

Le quotidien “20 minutes” partageait une illustration du chaucidou par le CD de Seine-Saint-Denis :

Qu’il est doux mon chaucidou !

Quelle réalité ?

Le chaucidou est donc en théorie une solution parfaite. Mais résiste-t-il à l’épreuve des faits ?

Un aménagement non compris qui crée de l’insécurité

Une solution si séduisante et si rapide à mettre en place que les autorités publiques oublient de communiquer sur le sujet. Nous n’aurions pas besoin de rédiger un article sur le sujet si le chaucidou était connu de tout le monde… Et c’est un problème car les comportements induits par cet aménagement vont à l’opposé du comportement attendu :

  • Le cycliste se pense en sécurité sur une bande cyclable alors qu’il circule sur une bande multi-usage (donc qui peut être utilisée par tous les usagers de la chaussée)
  • Les automobilistes circulent sur la voie centrale, pensant qu’ils n’ont pas le droit de circuler sur les bandes latérales (ils ont pourtant le droit puisqu’il s’agit de bandes multi-usages).
  • Lorsqu’une voiture arrive en face, les automobilistes sont souvent surpris de ne pas avoir assez de place pour se croiser et donc se rabattent rapidement sur les bandes latérales
  • Par ailleurs les automobilistes, pensant que les cyclistes ont leur aménagement dédié et donc sécurité, maintiennent leur vitesse de circulation (contrairement au ralentissement espéré):

L’aménagement de la chaussée à voie centrale banalisée n’a par contre pas ou peu d’effets sur la vitesse des véhicules motorisés

CEREMA

Vous l’avez compris le chaucidou crée un mauvais cocktail : sentiment de sécurité du cycliste + surprise des automobilistes = augmentation de l’insécurité

Un aménagement non compris qui créée de l’exaspération

Le chaucidou porte dès sa conception les germes de son rejet : les bandes latérales multi-usages. Personne ne comprend ce que sont des bandes latérales multi-usages. Il s’agit de bandes… où tout le monde peut circuler…

Cependant le cycliste pense qu’il circule dans une bande cyclable c’est-à-dire dans une bande réservée à la circulation des vélos et interdite aux voitures. Ainsi lorsque cette bande n’est pas dégagée et donc que le cycliste est bloqué dans la circulation par des voitures, cela crée de l’exaspération pour les cyclistes.

Les automobilistes pensent également qu’il s’agit d’une bande cyclable et donc s’attendent à ce que les cyclistes y circulent. Ainsi lorsque des cyclistes circulent en dehors de ces bandes, cela créée de l’exaspération pour les automobilistes qui sont ralentis.

Fait suffisamment rare pour être souligné, cet aménagement arrive, ô miracle !, à faire converger contre lui les cyclistes et les automobilistes (cf article de la ligue de défense des automobilistes).

Un aménagement frugal

Les autorités publiques ont si bien intégré la notion de frugalité que les aménagements sont mal faits:

  • Absence de panneaux d’avertissement pour expliquer les règles de conduite
  • Des marquages au sol qui disparaissent presque aussi vite qu’ils sont apparus

Ci-dessous une photo extraite google street map qui montre un chaucidou moins de 2 ans après sa réalisation : tous les marquages au sol ont disparu.

Qu’il est doux mon chaucidou !

Du chaucidou rêvé par le conseil départemental de Seine-Saint-Denis (image plus haut dans l’article) au chaucidou dans la vrai vie, un réveil souvent brutal …

Un aménagement qui économise une réflexion sur le développement du vélo

Un coup de peinture et hop! je double mes pistes cyclables ! J’en profite pour annoncer à tous mes concitoyens que le plan vélo est finalisé.

La ville de Saint-Malo a envoyé à tous ses administrés les nouveaux aménagements prévus par le plan vélo. Remarquez que les chaucidou (en incluant ceux dont les peintures ont déjà disparu) représentent pratiquement 50% des aménagements prévus !

Plan vélo de Saint-Malo

Le CEREMA (établissement public relevant du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, accompagne l’État et les collectivités territoriales pour l’élaboration, le déploiement et l’évaluation de politiques publiques d’aménagement et de transport) indique ainsi que :

cet aménagement de chaussée à voie centrale banalisée doit rester exceptionnel

CEREMA

Un aménagement exceptionnel ne peut donc en aucun cas constituer une politique publique.

Sans les tracés orange, le plan vélo de la ville de Saint-Malo aurait, il est vrai, moins fière allure.

Un aménagement cycliste qui n’en est pas un…

Aussi étonnant que cela puisse paraître, le chaucidou n’est en fait pas un aménagement cycliste comme prévu par le code de la route. Rappelez-vous, les bandes latérales ne sont pas des bandes cyclables mais des bandes multi-usages où tous les usagers peuvent circuler.

Utiliser le chaucidou pour communiquer sur le plan vélo est donc au mieux de la mauvaise foi.

Ajoutons en plus qu’il n’existe aucune norme ni aucun décret pour définir le chaucidou :

  • Pas de largeur minimale
  • Pas de vitesse maximale pour les automobilistes
  • Pas de description du marquage
  • Pas de règle de circulation dans le code de la route

Seules des évaluations sont disponibles pour en tirer des recommandations qui sont malheureusement pas connues des décideurs des politiques d’aménagement du territoire. La conclusion du CEREMA est donc sans appel:

“Les solutions classiques pistes ou bandes cyclables doivent être privilégiées, notamment en cas de présence d’emplacements de stationnement pour les véhicules motorisés, espaces qui pourraient être redistribués aux cyclistes.”

CEREMA

Faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain ?

Les retours d’expérience, les évaluations et les conclusions du CEREMA sont indiscutables. Le chaucidou doit :

  • Être un aménagement exceptionnel
  • Être utilisé uniquement lorsqu’aucune autre solution n’est possible
  • Expliquer la conduite à adopter
  • Être réalisé correctement
  • Limiter la vitesse des automobilistes (et que cette limitation soit respectée)
  • Garantir une largeur minimale de 1m50 pour chacune des bandes latérales
Un beau chaucidou à St-Mars-La-Brière (photo : crédit cyclamaine) qui respecte les recommandations

Un chaucidou ne doit être aménagé que si toutes ces conditions sont remplies. Dès que le trafic routier total et le trafic de poids lourds dépassent un certain seuil, le chaucidou doit être remplacé par un véritable aménagement cyclable (piste de préférence, bande sinon).

Dans ces conditions, le chaucidou est-il vraiment utile ? Il semble plus être une mauvaise réponse à un vrai besoin (le développement d’infrastructures sécurisées) et dans le meilleur des cas, c’est-à-dire lorsque toutes les conditions de son aménagement sont remplies, une réponse inutile car la circulation est déjà apaisée.

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